Quand Soliman et Ibrahim me proposent de partir au marché alors qu'il est déjà 20h, je n'hésite pas une seconde. Oui, la journée fut longue, la douche serait bienvenue, le repos aussi, mais visiter le marché en Egypte comme ailleurs, c'est impossible de refuser. On est à Marsa-Matruh, à 150km à l'est de la frontière lybienne. Soliman est mon collègue botaniste de l'Université des sciences d'Alexandrie et Mr Ibrahim, notre chauffeur.

La zone est hyper touristique en été, mais là on est seuls dans notre hôtel de bord de mer, normal c'est l'hiver. Il pointe une petite brise fraîche toute la journée, et en plein soleil c'est appréciable. Les rues commerçantes de Matruh de nuit sont à l'image de ce que l'on attend de l'orient, fourmillantes et odorantes, un peu comme hier à Alexandrie, sauf que là on est dans des arômes agréables. Celui du pain chaud attire mon attention, on achète donc 5 pitas blé complet et blé tendre (25cts€). soudain, Mr. Ibrahim, aux faux airs d'Omar Sharif, veut absolument s'arrêter à Nasr, échoppe avec pignon sur rue, avec un comptoir à 1m60, autant dire que si tu fais moins on ne te voit pas pour passer ta commande. ici ils vendent, cacahuètes, pipasols, et graines de courges en sachet. Je fais un bond dans mon adolescence. combien de kg de pipasol ai-je pu manger jeune? Ici, tout est produit en local; séchées et grillées à souhait, les clients ne désemplissent pas pour s'arracher ces graines. Parait que ce sont les meilleurs. J'avoue que manger ces graines pour moi relève de l'addiction.

Autre échoppe, celle des dattes. Pour une fois, je n'ai pas le choix, seule la variété Siwa est sur l'étale, en format sec ou frais. J'en prend 500gr de fraiches (1€50). Elles ne sont pas vraiment sucrées mais amères, un peu dures sous la dent, mais elles sont fraîches, et ça pour moi c'est nouveau. Puis vient la dégust' de coeur de palmier frais qu'on achète en lamelle. Comme la noix de coco, la texture est spéciale, peu sucrée, mai le goût coco reste présent.

D'Alexandrie à Marsa-Matruh, comptez 300km, et sur env. 200km c'est un chantier permanent . Je n'ai jamais vu ça. Comme si entre Montpellier et Toulon toute la côte était bloquée par de gigantesques travaux sans discontinuer. Tout s'artificialise ici, on voit des camions, des pelleteuses de partout. La route est pleine de trous, de détours, de poussières. En fait, la biodiversité des zones dunaires disparait àchaque seconde, et dire que ce que je récolte ne sera plus là demain. C'est juste fou. La raison de cela: le tourisme de masse pour classes moyennes. Ce sont des milliers de bâtiments de plusieurs étages, tous vides actuellement, qui émergent sur ce front de mer. C'est juste hallucinant. Toutes les zones du monde n'avancent pas à la même vitesse vers la réduction énergétique, même qu'ici ça va dans l'autre sens. 200km de chantiers hors normes...vous l'imaginez? J'ai passé 3h à observer tout cela depuis ma petite fenêtre. Et puis je me suis demandé qui avait la vision globale de tout ça dans ce pays? Qui avait la big picture?

Quand Architecturix décida de se lancer dans la construction des pyramides, lui il l'avait la big picture, à tel point qu'il y a 5 jours, on lit dans la presse qu'un nouveau tunnel de 9mx2 vient d'être découvert dans Khéops, 45 siècles après sa création. Cela veut dire qu'Architecturix avait prévu de faire un tunnel au début du projet, lui savait pourquoi, mais nous toujours pas. Donc si des égyptiens, il y a 4500 ans savaient gérer ce qu'on appelle un chantier "pharaonique", pourquoi en 2023, ils ne sauraient plus le faire? Impossible n'est pas égyptien. Sauf que les pyramides ont traversé le temps, je n'en dirais pas autant de ces resorts en briques. Avoir la big picture, c'est prendre du recul sur ses actions, anticiper chaque coup joué, car on sait qu'il bénificiera au projet final. Sur cette route de 200km, il va donc y avoir une autoroute à 6 voies qui dérservira des centaines de centres de vacances alimentés en eau potable, éléctricité, et bouffe de collectivités, canalisations d'eau usées se déversant dans la mer pour le seul bien être de touristes qui passeront de 9h à 18h sur une plage de sable. Des hommes ont donc cette big picture dans la tête, celle de faire des gros profits au détriment d'un paysage paisible et unique de zones dunaires. Quand on sait, que le pays est un gigantesque terrain de sable qu'on appelle désert, cela valait-il la peine d'en rajouter?

So far, so good