Quand on a grandi dans les Hauts de la Réunion dans les années 60-70, on a forcément connu le moyen-âge, en terme de communication et de transport. Encore actuellement, tous les villages de Mafate, cirque totalisant environ 800 habitants, n'ont que les chemins de rando pour les relier avec le reste de l’île. Ce qui est une situation bien originale. Ainsi, depuis le bord de mer à l'ouest, il y a la route du Maïdo, la rivière des galets ou sans soucis. Depuis Salazie, il y a le passage par le col des bœufs ou des fourches, et depuis Cilaos, le col de Taïbit (après s'être tapé la route des 400 virages depuis Saint Pierre). Bref, tout ça pour dire que Mafate, ça se mérite.

Celui parmi tous les habitants de Mafate qui a eu le plus grand mérite est Ivrin Pausé qui fut durant 40 ans (1951- 1991), le facteur de Mafate. Il a ainsi parcouru 253 000 km à pied, avec sur son dos, à chaque livraison, 15 à 18 kilos de courriers. Il a aussi créé une épicerie et un gîte. Ce facteur est décédé récemment à 91 ans, comme quoi arpenter les montagnes avec un sac lourd peut conserver (voilà un message perso à certains d’entre vous).

Durant les voyages, il y a des personnages que l’on rencontre et que l’on ne peut pas résumer en 3 lignes. Jean-Yves est de ceux-là. Tout en haut de Salazie, à Grand-îlet, se trouve la maison d’hôtes de Jean-Yves. C’est un pur créole, comme sa dame. Après une petite adaptation à son accent couéole à coupé o saboueu, et à son phrasé si particulier avec des expressions auxquelles on ne s’attend pas, on se trouve vite emporté dans ses histoires d’ilien. Comme quand il avait une dizaine d’années vers 1970: pour gagner un peu de sous, il faisait le porteur entre Grand îlet, où il est né, et Aurère à Mafate. Sachez qu’il y a bien 10km et 1000m D+ sur un terrain escarpé, dangereux car souvent humide, truffé de racines dans tous les sens. Dans ces années là, l’ONF n’avait pas encore fait de belles marches en bois ou en béton. Jean-Yves portait les vivres sur sa tête, avec une main pour équilibrer. L’autre main tenait une bouteille de bière remplie de pétrole avec une mèche pour s’éclairer-plus de mains dispos pour des bâtons de marche. Il partait à 4h du mat', pieds nus, pour un A/R dans la journée. Son salaire était d’1 franc. En racontant cela, Jean-Yves décrit les montagnes des cirques comme sa poche, agrémente son récit de détails sur la cuisine, sur les gens locaux, sur la vie du passé qui n’a plus rien à voir avec maintenant, et pourtant tout reste beau ici. Même la pluie et le brouillard. Il nous dit « il faut deviner ce qu’il y a derrière la brume et alors on se sent bien ». La descente vers Aurère depuis le sentier Scout donne à rêver, car c’est une portion de la mythique course trail d’endurance « La diagonale des fous » qui traverse l’île de Saint Pierre à Saint Denis sur 164km et 9917m de D+. Je ne cache pas mon émotion d’en avoir fait un bout.

Voilà c’est fini. Onze jours ça passe vite. On ne saura que trop remercier nos amis de Saint Pierre qui nous ont accueillis dans leur belle maison: La Reine des abeilles, Manga Man et Floflo. A présent, je rentre dans une métropole froide, et pas verdoyante, car c’est l’hiver en Europe, au propre comme au figuré. Au retour de la Réunion, les gens te demandent forcément : alors quel cirque as-tu préféré? Les 3 sont franchement différents, et donc je n’arrive pas à me prononcer. Ce qui est sûr, c’est qu’y revenir est au programme, car le champ des possibles sur cette île est incroyablement élevé. Que de chaleur dans l’accueil, que de diversité dans cette cuisine et ces paysages. Les gens sont mélangés et sont heureux de l’être. Créoles, Indiens, Maorés, Comoriens, Blancs de métropole, tous vivent ensemble sans animosité. La Réunion serait-elle le seul département français où l’intégration des peuples et des ethnies a réussi? J’aime à le croire. Je rentre donc reposé, captivé, émerveillé, oui mais, le retour à ma réalité d’européen me ramène à cette question du 1er jour, que sont devenus Vadim et Andrej? Et de me dire que la tristesse lé toujours la.

So far, so good