Café grec ou café turc?

Je m'appelle Georgios, j'ai 74 ans. C'est moi là de dos, je prépare le café pour les gens de passage, en l’occurrence un italien et un français qui viennent récolter des papillons. Encore de beaux parleurs. Je m'occupe de ce bar depuis 15 années, juste après la mort de mon père, qui le tenait de son père. Avant cela, je travaillais aux usines Renault de Nicosie, puis elles ont fermé, alors je me suis dit à mon age, pourquoi ne pas reprendre le bar de mon père. Le village est tranquille. Le matin, les copains viennent taper le carton ou jouer au Backgammon. Le soir, pareil.

Je suis fan de foot, et j'ai affiché les meilleurs joueurs de l'équipe de Nicosie. On regrade les matchs avec les copains, l'occasion de se boire un café grec en faisant battre encore un peu notre coeur à chaque action. Je n'ai qu'une seule fille, Elena, qui m'a donné deux jolies petites filles, que je ne vois pas très souvent, car elles vivent à Athènes. On a beau dire ce que l'on veut, la vie est moins compliquée sur le continent. Elles viennent l'été sur les plages, et passent me voir à Pera. Ce sont mes petits moments de bonheur. Le temps passe et j'ai l'impression de perdre à chaque fois qu'elles partent, un peu plus le sel de la vie. Pourtant du sel, il y en a partout autour de l'île, mais de moins en moins dans ma maison.

Quand des clients sont là, je les entend souvent parler du café. Qui du café turc ou du café grec est arrivé en premier? Il n'y aura jamais de réponse, mais nous les grecs on le fait mieux, c'est tout. C'est une décoction d'un café arabica extrêmement moulu fin. On utilise le plus souvent un camping gaz pour faire 2 ou 3 cuissons dans une mini cafetière en cuivre. on a trois types de sucrage, aucun, moyen et beaucoup. On rajoute de l'eau, et surtout, surtout, on ne mélange pas. Quand ça bout, on verse dans la tasse. Le marc se dépose, certains y lisent l'avenir, des charlatans selon moi. Puis on déguste sa douceur, son arôme si particulier. Parfois, quand j'ai du temps, je cuis le café sur le sable, ce qui rend la chaleur plus homogène.

Christos est là tous les matins dans la lumière douce de 10h. Je l'observe de loin à lire les nouvelles, sa vue baisse, mais il s'y tient. On finira tous un peu comme lui à attendre l'issue, à nous de voir quel moyen nous fera patienter le mieux, sans tristesse, sans amertume. Pour Christos c'est son journal. ce matin, parait-il qu'on y apprend comment ouvrir les portes en bois chypriotes ; en fait lui le sait depuis tout petit, justement parce qu'il était trop petit ; il faut pousser vers le haut, le cercle de droite sur 3-4cm, cela actionne derrière, une barre en bois qui desactionne le verrou; on voit d'ailleurs un léger frottement sur le bois. Christos me dit que personne n'a bien répondu, juste Valérie s'en est approché. Christos aimerait bien la rencontrer.

So far, so good