Amour, Gloire et Beauté
Il y a des heures de la journée où le photographe aime déambuler, c'est quand les rayons font rougeoyer naturellement les pierres, les arbres et les visages, et ce moment est juste avant le coucher du soleil. Il n'y a presque rien à faire, à part prendre la photo, car le cadrage, les couleurs, sont en général parfaits. Partons ensemble pour un petit tour de Jerez entre 20 et 21h, à une heure où les poules sont couchées depuis longtemps. Après c'est trop tard, il fait nuit et c'est là que d'autres poules entrent en scène, les danseuses de flamenco.
1. L'une des places de Jerez avec ses Jacarandas (Jacaranda mimosifolia, son petit nom latin car ses feuilles ressemblent au mimosa); ici en fleur, qu'on appelle les flamboyants bleus, le jacaranda est originaire d'Amérique du sud comme Argentine et Brésil, et est l'arbre sub-tropical le plus planté dans le monde 2. L'Alcazar de Jerez du XIIème n'est rien d'autre que la forteresse, splendide, imposante, rayonnante. Elle se visite mais pour ça faut pas y être devant à 21h 3. La cathédrale de Jerez, hyper décorée et chargée, parait que l'intérieur est superbe, mais à 21h c'est fermé. Dieu aussi a le droit de se reposer.
J'avoue que je n' m'attendais pas à grand chose en venant à Jerez, à part pour ramener des plantes et des insectes, car je n'avais pas plus entendu parlé de la ville, mais en me baladant avec Iñigo qui la connait comme sa poche, j'ai eu comme un guide unique sans perdre de temps. L’Andalousie, communauté autonome du sud de l’Espagne, se compose de huit provinces : Huelva, Sevilla, Cádiz, Málaga, Córdoba, Almería, Granada et Jaén, et Jerez de la Frontera appartient à la province de Cadix. Il y a plein de ruelles qui mènent à des mini places avec des bars/Tabancos avec terrasse. A 21h, pas encore trop de monde dehors, car ça sort vers 22h, et puis les gens se reposent car dans quelques jours va commencer la Féria de Jerez, et là...ça va être le déluge. (sûrement à truc à programmer dans l'avenir). Elle s'appelle la Feria del caballo, car des centaines de gitans-es, les uns vêtus en zorro les autres en robes rouges à froufrou, déambulent à cheval dans les rues pavées. On y boit du Rebujito, un savant mélange de fino (vin de Jerez) et de limonade, avec glaçons bien sûr. Cela fait penser au Tinto de verano (le rouge de l'été), le breuvage estival par excellence en Espagne (les ritals ont le spritz) : vin rouge+limonade+glaçons. Ça se boit comme qui rigole.
4. Eglise Dionysos, le dieu du vin veille sur la ville 5. Tio Pepe ou le fondateur d'une entreprise multinationale du vin 6. Un Tabanco encore vide
La ville de Jerez est née sous le signe du vin, d'ailleurs une église et une place portent le nom de Dionysos, c'est dire. Cela contraste avec tous les bâtiments construits par les colonisateurs almohades (les berbères), comme l'alcazar et la mosquée au XIIème. Puis tout a été reconquis par les rois castillans. D'ailleurs Jerez, comme Arcos, Palos et d'autres cités se sont vus ajoutées "de la frontera", car cela est dû au fait que pendant la période de la Reconquête espagnole, ces municipalités ont formé une frontière naturelle entre les royaumes chrétien et berbère pendant près de deux siècles, et au final les noms ont été gardés. Une fois les berbères virés, les chrétiens, amateurs de vin ont commencé à changer la culture, commencé par les phéniciens (6 siècles avant JC), puis poursuivi par les romains, qui est de cultiver et boire du vin. Puis les anglais ont mis le grappin sur le vin de Jerez sans jamais s'en défaire. Le Xerès a donc conquis le coeur de tous et notamment Shaekespeare qui écrivait « Si j'avais un millier de fils, le premier principe que je leur inculquerais, ce serait de fuir les breuvages sans force et de s'adonner au xérès", mais aussi le navigateur Portugais, Magellan car c'est grâce au vin de Xérès qu'il a pu atteindre l'Amérique, car l'eau étant une des grandes sources de bactéries à bord des bateaux, Magellan a donc emporté plus de vin de Xérès que d'armes. CQFD. Iñigo me racontait, en déambulant dans Jerez, que petit on lui faisait boire du Candié, vin qui doit son nom à une contraction de « Candy »et « Egg » (en anglais pour bonbon et œuf). Le bonbon était donc le vin sucré de Jerez, et on ajoutait un jaune d'œuf. Parait que cela redonnait l'appétit aux enfants, et aussi quelques triglycérides.
7. Native de Jerez en 1923, Lola Florès fut une artiste de flamenco et est ici célébrée par cette place; Lola Florès, de son vrai nom à rallonge comme tout bon espagnole qui se respecte María de los Dolores Flores Ruiz fut une chanteuse, danseuse et actrice andalouse. Elle fut le symbole vivant de la culture espagnole durant une cinquantaine d'années. Surnommée La Pharaonne en raison de ses origines gitanes, elle a régné à Jerez comme ailleurs sur le flamenco 7. Et elle vous vous en souvenez?
Après la visite architecturale de Jerez, une soirée en Andalousie se finit donc par du flamenco. Et qui dit flamenco dit gitanos. Partis du nord de l’Inde au Xe siècle, les Gitanos ont traversé une bonne partie de l’Asie et toute l’Europe, adoptant beaucoup de traits culturels des terres traversées (je me demande où ils ont chopé le surnom de "voleur de poules"?). Après un périple de plusieurs siècles, ils s'installent en Europe centrale et arrivent au début du XVe siècle en Basse-Andalousie. De son côté, né en Andalousie à la fin du XVIIIe siècle dans les couches sociales les plus marginales et les plus pauvres, le flamenco reste marqué par un mystère autour de ses origines. Le terme n’apparaît qu’au XIXe siècle et donne lieu à pas mal de controverses quant à son étymologie. Plein d'hypothèses existent (nom arabe? nom flamand?). D’autres hypothèses suggèrent encore que « flamenco » ferait écho au port altier du flamand rose (flamingo) qui n’est pas sans rappeler celui du chanteur ou de la danseuse, ou que le terme serait une allusion péjorative à la désignation des Gitans par les Andalous qui les traitaient de "flamencos"...(peut être a-t-on aussi ici l'ethymologie de la flammekueche alsacienne?). Ce voyage se termine ici entre tapas, cicadelles, Xérès et sonorités andalouses, à bientôt pour de nouvelles aventures.
So far, so good