L'académie des 11
Comme toute langue, dès qu'on veut l'apprendre c'est mieux de commencer jeune. Le népalais ne fait pas exception à la règle. Hélas moi je suis vieux. En rusant un peu, on peut passer le premier chapitre de la méthode Assimil, qui de fait ici devient Ahuitmille. On commence forcément par deux mots incontournables, Namaste नमस्कार, नमस्ते (bonjour) et Dal bhat दाल भात, qui est le plat de base du Népal (mais on le trouve en Inde et au Bangladesh), incluant riz, épinards, petits légumes épicés et soupe de lentilles. Selon les cuisiniers, ça va de bon à très bon. Le gros avantage de ce plat, c'est que sans même le demander, on a droit à du rab, souvent même avant qu'on ait fini la moitié du plat. Moi j'apprécie ce genre d'attention. Du Dal bhat, j'en ai mangé au moins une dizaine, et ça se digère sans problème. On peut même y rajouter du piment rouge. Les Népalais mangent épicé, et le piment pousse partout. Mais revenons à notre Namaste. On peut le lire à tire-larigot sur tous les restaurants, échoppes en tout genre dans la vallée du Khumbu. Comble du ridicule, quand un étranger croise un autre étranger, ils se disent Namaste. Moi je rajoute toujours un Bonjour derrière, histoire de marquer ma différence. Faute de passer physiquement pour un népalais (j'ai facilement 30cm de trop), j'ai opté pour l'apprentissage des langues népali et Sherpa. Donc bonjour se dit Tashé dilek en sherpa. Le soir quand on se quitte, on se dit donc Bhōli bhēṭaulā (A demain) et Śubha rātrī (Bonne nuit). Mais voilà, avec l'altitude qui amplifie, et la pression d'oxygène qui diminue, on a beau nous répéter chaque jour les mêmes mots, on les oublie. Il fallait donc trouver une solution rapide, efficace et assez fidèle à la réalité. C'est là, que la mémotechnie intervient.
1. L'alphabet népalais compte 33 consonnes et 12 voyelles, comme on peut le voir ici. Au Népal, il est important de savoir lire les panneaux de chiens, car les clébards sont partout, nuit et jour, ils aboient, ils invectivent, que ce soit en ville, en village, ou dans le trou du cul de la vallée de l'Everest, l'endroit idyllique pour se reposer, et bien la nuit, il y aura toujours un clébard pour aboyer et m'empêcher de dormir; alors si vous aimez les chiens, courez au Népal, si vous ne les aimez pas, prenez une double ration de boules Quiès et courez-y 2. Les piments sèchent au soleil, car durant l'automne le soleil tape fort en altitude 3. Voilà le Dal Bhat dans toute sa splendeur; j'oserai un "Bon appétit" en népalais, mais il parait que cela n'existe pas.
Selon les linguistes, le népali appartient à la famille indo-aryenne parlée au Népal, en Inde et au Bhoutan, là ou le peuple est détendu. Dans cette famille, on y trouve l'hindi, l'ourdou, le bengali, le sanskrit et... le romani parlé par les roms vivant en Europe. Près de 80% des népalais parle le népali, et environ 35M le parlent dans le Monde. Autant dire qu'à choisir, il vaut mieux apprendre le népalais que le hongrois. En plus au Népal, il y a de la diversité, car plus de 120 langues sont parlées, et le sherpa en est l'une d'elles. On s'est plutôt concentrés sur le Sherpa, vu qu'on a passé 13 jours dans leur vallée.
4. Pierres de prières tibétaines, gravées et peintes ; on en trouve partout au milieu des chemins; c'est écrit en tibétain donc incompréhensible par les népalais même si l'alphabet est proche; d'ailleurs les moines tibétains réfugiés à Kathmandou après avoir fui le plateau tibétain, suite à l'oppression chinoise, parlent en anglais pour être compris 5. Ces monticules se contournent toujours par la gauche, sauf par ceux qui s'en foutent ou non croyants, mais comme ça fait partie du folklore local, et bien on a suivi le mouvement 6. Durant nos montées, face aux sommets, j'ai donc répété les mots appris la veille, mais ce n'était pas facile.
Je disais donc qu'avec la mémotechnie, on passe direct du chapitre 1 au chapitre 12 de la méthode Ahuitmille. Je m'explique. Bhōli bhēṭaulā (A demain) se décortique en Boli (le footballeur), bête, Ola (ce que l'on fait dans un stade). Pour dire A bientôt, on change de footballeur, et on prend Thierry (Henry), bête, Ola et ça donne Phērī bhēṭaulā (फेरी भेटौला). OK, on est un peu dans l'approximatif, mais ça marche. Dingue qu'en changeant le nom des joueurs, on change vite le sens. On a pas essayé avec Mbappé ou Benzéma, ça se trouve, ça marche aussi. A un moment, il faut aussi se dire Bonne nuit, et là, le mécanicien qui est en vous va entrer en jeu: Śubha rātrī (शुभ रात्री) devient donc...Sous la batterie, mais on inverse les syllabes. Cette méthode pour le Népali, marche aussi en langue Sherpa. Ainsi, Bonjour se dit Tashé Dilek, qui devient T'as chié du lait, et qu'on a retenu bien plus facilement, allez savoir pourquoi.
En marchant 5 à 6h par jour, on a le temps de penser à notre nouvelle langue. On pouvait même la pratiquer sur le chemin, enfin pour les plus assidus. Le soir, un petit jeu s'était installé. Le premier qui se lève pour aller se coucher, d'ordinaire vers 20h, devait s'exécuter. J'oubliais, au Népal, en octobre, il fait nuit à 16h30, à 18h30 on dîne, à 20h donc au lit. Et après, on prie Buddha pour dormir, mais ce n'est pas le sujet. Donc le jeu consistait à s'exécuter à dire à l'académie des 11, incluant nos sherpas porteurs, Bonne nuit et à demain. Il y en a deux dans la Team, Jules et Ours (leurs noms ont été modifiés pour éviter les brimades), qui échouaient systématiquement. Des fous rires s'en suivaient, notamment chez les sherpas. La bonne humeur régnait ensuite dans les chambrées, il fallait ça pour réchauffer les corps, car la température tournait autour de 5°C dans nos lits. Sous la batterie à tous.
So far, so good