Bouches et coeurs d'or

Publié le par Run

Je n’avais jamais rencontré d’ouzbeks dans ma vie. Chose faite.

Tenghir est notre chauffeur. Il possède 30 mots d’anglais, et pourtant on a beaucoup communiqué, sans parler. Nous occidentaux n’aimons pas le silence. Imaginez seulement 1mn sans parler durant un repas, et on va vous demander si quelque chose ne va pas. En orient, le silence fait partie de la communication, et il ne faut pas en être gêné. Le silence peut dire que vous profitez du bon air frais ou de la saveur exquise d’un melon fraichement cueilli. Tenghir n’est pas chauffeur de nature; il travaille comme technicien sur les termites à l’université, et le Professeur lui a demandé de jouer ce rôle pour nous. Sa voiture coréenne est pire qu’une skoda que je connais bien. La vitre arrière droite ne se baisse plus. L’aiguille du tachymètre a disparu. Quand je suis monté dedans, j’ai tendu machinalement ma main pour attacher ma ceinture, dingue ils avaient oublié d'en mettre.120km/h sur des routes défoncées sans ceinture ça n’existe pas, et pourquoi pas? mais le moteur tourne, et au gaz svp, comme la majorité des véhicules dans ce pays. Tenghir aime la bière, mais nous a regardé souvent en boire, car le taux d’alcoolémie est à 0, et ici on ne plaisante pas avec la police. Il est né au pied de la mer d’Aral, dans le grand désert de l’est, puis est venu travaillé à Tashkent. Comme beaucoup d’oubzek, il a le sourire facile, qui laisse découvrir une dentition d’or. Moi qui suis particulièrement sensible aux sourires, cela ne m’a pas échappé. Il a aussi un regard bridé de mongol et une carrure de kozak. Malgré ses tempes grises, il a un visage d’enfant malicieux avec qui j’ai beaucoup échangé dans le rétroviseur.

1. 900km dans le rétro

1. 900km dans le rétro

Anton a croisé mon chemin un quart d’heure, au grand bazar de Samarcande. Anton est vendeur d’épices. Tout comme il m’est impossible de passer par Bouzigues sans manger des huitres, je me devais de m’arrêter à l’étal d'Anton. Safran, pierre d’alun, anis étoilé, gingembre, curcuma, cumin, tout est là, dans son musée des saveurs. Je prends ci, je prends ça. Je ne sais même pas si je les utiliserai, mais j’achète par compulsion, car une vie sans épices, c’est fade. Il aime le football, moi pas, mais depuis longtemps je sais que la meilleure langue du monde est celle du football, alors je cite des noms de joueurs et d’équipes, et les visages s’illuminent. 6000 sum pour solde de tout compte, soit 1€50. En bonus Anton m’offre un assortiment fait sous mes yeux d’épices pour cuisiner le riz pilaf. Il n’était pas obligé. Cela me touche. A ce moment on est rattrapé par le vendeur de céréales chez qui on était passés 20mn plus tôt. Il nous tend 7000 sum. Sur le coup, on ne comprend pas. Il s’était trompé dans sa note, et nous a retrouvé dans le marché pour nous rembourser. Quand on sait qu’un instit gagne 250€ par mois, combien peut gagner cet homme sur le marché? mais voilà cet homme est honnête, et moi j’ai pris une claque.

2. La main experte du vendeur d'épices

2. La main experte du vendeur d'épices

Enfin Tosh, botaniste, traducteur, guide, et petit homme rondouillard qui a déjà parcouru le monde mais revient toujours chez lui, à Samarcande où il habite avec sa jeune famille.Ces 5 jours sont pour nous une mission exploratrice, pour envisager le futur en terme de collaborations, de récoltes de plantes et d’insectes, et surtout de sécurité pour nous et nos collègues que l’on enverra. Tosh nous est alors apparu comme la clé de voute de tout ce que l’on recherche. Tosh s’exprime souvent avec des maximes et des règles à suivre, il est fier de son pays, il aime ses traditions et la nature, et il aime parler, ça tombe bien moi aussi. Il avait dix ans quand son pays est sorti du joux soviétique et il a un avis tranché sur cette gestion. C’est lui qui m’a parlé de l’irrigation des plaines du centre entourées par les deux rivières Amudarya au sud et Shardarya au nord, et surtout des conséquences sur l’assèchement de la mer d’Aral. Moi aussi les déséquilibres environnementaux au profit de l’homme me font mal en profondeur. Moi je passe, et j’observe, parfois je pleure en secret, souvent je ris en groupe. Tosh a de l’humour et apprend son métier de futur intermédiaire de projets transfrontaliers, et je l’espère sans faire naitre trop d’ambitions personnelles. On pourra compter sur lui. Il pourra compter sur nous.

So far, so good

3. Une équipe de poids, Tosh et Terghin entourant Massimo

3. Une équipe de poids, Tosh et Terghin entourant Massimo

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T
Des gens, des vrais...
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Mais c'est que tu es touchant, cher ami !
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L
ben voilà, juste encore merci
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