Pablo pique-assiette
Je me promenais dans le magasin le cœur ouvert à l'inconnu, enfin pas vraiment, car je cherchais du fromage. Quitte à manger, autant manger bon. Le rayon fromages m'a toujours attiré quand je suis à l'étranger, afin de me rassurer qu'il fera bon rentrer un jour. Le syndrome avait démarré chez les kiwis, il se poursuit chez les ricains. A peine je pose mon nez sur le crottin que je suis alpagué par une voix. "Bonjour, j'étais prof de français". Et c'est parti pour une conversation sur la vie, les bonnes choses, et notre chère langue si bien pendue, et hélas parfois si bien coupée. Tout ça devant le rayon pâtes molles. La dame est enjouée, sourit, visiblement heureuse de ce moment partagé autrement que dans la langue de Shakespeare. Elle me raconte ses voyages, je lui raconte le mien. Quant au rayon calendos, il est bien fourni, faut dire qu'on est loin des gros magasins yankees à la Walmart ou Target qui paient leurs employés au lance pierres. Ici c'est chez Trader Joe's, une chaine californienne, un peu bio, un peu bobo, et pas mal bon. La conversation se termine et les sourires s'éloignent. Cheese.
Ici le vendredi c'est pas ravioli, mais c'est Gernika chez Pablo, un bar basque du coin de la rue. on y descend à chaque fois, tout simplement car ils servent les meilleurs French fries du monde. Fines, grillées à points, croustillantes à souhait, je ne résiste pas, j'en pique ça et là. Vendredi 18h, le petit monde du labo se retrouve là, right on the corner. Il y a Fernando*, le chercheur argentin qui aime faire du VTT en douceur, Peter, l'autre généticien de l'équipe et accessoirement marié à John - depuis que la loi est passée il y a un an, il ont sauté sur l'occasion - et il y a deux de nos étudiants, Kate et Mike, mariés aussi, dans la vie comme au labo. Mike m'écrit souvent en français qu'il a appris avec un tunisien et des congolais. C'est un bosseur. Issu de Westpoint, il est capitaine dans l'armée US, tout comme Kate d'ailleurs, ils étaient ensemble en irak, et en sont revenus, vivants. A présent ils étudient des bandes sur des gels moléculaires avec la rigueur militaire que cela impose. La Grande Muette leur donne cette chance de gravir les échelons en se formant au monde scientifique pour mieux commander. On est loin d'Abou Ghraib et Guantanamo.
A Gernika, ça rentre et ça sort. Faut dire que les bars et restos sont de gros pourvoyeurs d'emploi. On sent que le pays va bien, le chômage est à 5,5%, ce sont 250000 emplois crées chaque mois, tous secteurs confondus. Je m'amuse à rêver de revoir ça dans mon pays un jour. Le froid est tombé dehors. La journée fut intense, j'en ai perdu ma voix. Quand on devient muet, on se sait plus quelle langue parler à l'intérieur. J'entends déjà celles plus mauvaises de ce blog se dire, enfin du silence. Final Cut.
So far, so good
* ndlr: Les prénoms ont été modifiés pour préserver la vie privée des protagonistes