Bock en stock
Dans les voyages, j’aime la surprise, j’aime ce petit détail qui me fait dire que ce que je vis est original. Ce matin, dans la brume de 6h d’un vendredi 23 janvier, à l’heure où les flocons ne fondent pas encore sur les caténaires des tramways, j’ai ressenti ce petit supplément d’originalité: en me mouchant, mes doigts sentaient la moule. Une réminiscence de cet excellent repas moules frites de la veille au resto « Le chou de Bruxelles ». Une combinaison parfaite de mets de haute qualité et pourtant si simples: frites, moules, crevettes, dame blanche, puis remoules et refrites. En me mouchant, j’ai souris. Et ça, ça ne m’est arrivé qu’en Belgique.
Autre originalité du moment, mais moins perceptible dans ce petit matin bruxellois : une rencontre avec les breuvages des moines. La Chouffe, Maredsous, Orval, Kwak…des noms qui chantent, qui par leur simple évocation font briller les yeux de l’épicurien que je suis.
Tel un québécois, je me souviens. Flash back sur un passé d’insouciance où j'étais un jeune étudiant en entomologie à la fac d’Orléans, autre plat pays s’il en est. Je venais alors en Belgique en voiture pourrie pour découvrir ces hauts lieux de la brasserie mondiale. Ici, les bières ont du corps, de la chair, de la corpulence, on y voit du Rubens et du Bruegel l'ancien, des hanches opulentes dans la mousse de la trappiste de Rochefort, des poitrines généreuses dans les robes ambrées de la Rodenbach, des paysans déguenillés dans la Cuvée de Ciney.
Ici, la bière est une œuvre d'art qui ne se boit pas seulement quand on a soif, mais aussi quand, en bonne compagnie, on veut sentir l'essence d'un peuple, tiraillé par son multilinguisme, pas sa position difficile de carrefour en Europe, et aussi par sa difficulté légendaire à se gouverner. Je venais découvrir tout ça, et même plus, dans mes jeunes années post acnéiques, ou je ne connaissais de la vie que son orthographe. Puis quand en traversant la frontière au retour en France, le douanier s'interrogeait sur la raison d'avoir 30L de bières dans mon coffre répartis en 50 bouteilles individuelles et différentes; sans oublier qu’à cela s'ajoutaient des sous bock de toutes sortes piqués dans les estaminets du pays. Ma réponse à l'époque était "je suis amateur de bières", et ça passait. De ces années de villégiatures gustatives, j'en ai gardé quelques spécimens dans ma cave privée où dorment depuis 25 ans des Chimay Grande réserve de l'abbaye de Scourmont. Les boirai-je un jour? je n'en sais rien, car on avait fait le serment avec mes deux copains de fortune, Philippe & Philippe, de les boire ensemble un jour, plus tard quand on serait grands. Harry Potter si tu m’entends. Mes bières, bien à l’abri dans leur confort, perdent doucement leur bulles, comme moi, bien installé dans ma vie, j’ai perdu la trace de ces deux copains.
So far, so good.